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Inona no vaovao?
26 janvier 2009

Le sida, la mort, la tradition, confrontés au Madagascar de la mondialisation par Michèle Rakotoson

Je viens de terminer un livre dont j'ai encore les frissons de la mise à nue d'une réalité qu'on ne voudrait pas voir mais je garde aussi cette sensation d'avoir lu un livre qui me parle de poésie, de dignité humaine et d'humilité. Ouvrez vite le livre de Michèle Rakotoson, intitulé Lalana

 

« Rêve pas mec, lui dit-il tout le temps, rêve pas, rien de tout cela n’est pour nous » quand Naivo lui parle d’avenir, de politique, de pays à construire.

C’est Rivo qui parle, jeune homme dans la vingtaine à son ami Naivo. Ils se sont rencontrés à l’université là haut sur « la colline des esprits" d’Antananarivo. Etudiants, oui, mais plein d’avenir non ! L’ont-ils seulement été à un moment donné ? Les études ne garantissent rien lorsque tu es malgache, de castes sociales démunies et qu’en plus tu as le sida.

En effet celui qui parle, Rivo, a le sida.

« Il m’avait dit 1000 francs si tu veux le faire avec moi sans préservatif, 1000 francs, un million malgache…les mots ont enfin été prononcé, cette douleur que Rivo tait depuis si longtemps, l’impossibilité qu’il avait eu de dire non à l’infâme, à l’abject et au déni de soi, l’homme devenu objet pour cause de trop grande misère »

  Enjoué, belle gueule, il a choisi le terrain des arts pour s’en sortir. Se rêvant musicien, c’est dans les quartiers glauques de la capitale malgache qu’il doit se résigner à jouer pour gagner quelques sous. Et puis la musique de ces quartiers le fait vite descendre dans les méandres de l’argent facile, celui que tu gagnes par le corps et non l’esprit. Parce que la chance des études il n’y croit plus, contrairement à Naivo, jeune homme brillant à qui les parents de la campagne ont tout donné pour qu’il puisse étudier, et s’en sortir dans ce pays miséreux. Mais lui aussi est attrapé par le dépit, la résignation et d’autant plus lorsqu’il voit son ami dépérir par cette maladie infâme dans des conditions encore plus abjectes.

Parce qu’il sait qu’il ne peut pas le laisser tomber : ce n’est pas la société, l’État, pas même les médecins qui vont soutenir son ami dans cette épreuve. Il n’y a personne pour accepter cette maladie, symbole de l’incarnation du diable dans un pays hanté par les préceptes religieux mélangés de morales traditionnelles. Et puis un pays où même soigner une grippe est du ressort des couches élevées de la société, ceux qui s’en sortent en épousant un Blanc, ou en étant né du bon côté ! Et encore y a-t-il un bon côté de la vie à Madagascar ?

« Le pire dans les pays dits du Tiers-monde n’est peut –être pas la pauvreté mais cette misère intégrée dans les esprits, cette sensation de se vivre, d’être incurablement pauvre. Les dirigeants se vivent pauvres, se sentent pauvres et sont de toute façon pauvres, malgré leur gloutonnerie, et ils construisent leur société à leur image. Ici peut –être plus qu’ailleurs. »

Condamné, Rivo l’est et dès le début on le sait. Mais le plus tragique pour un Malgache, peu importe sa condition serait de ne pas avoir une mort digne « […]dans ce pays où les vivants comptent moins que les morts ». En effet peu importe les moyens, les malgaches trouveront toujours des ressources pour que leurs ancêtres soient honorés et ne hantent pas l’avenir de leurs descendants.

Naivo se doit d’aider Rivo dont la sœur est mariée avec un Blanc, elle qui a quitté la misère et a construit une barrière infranchissable avec son frère resté du côté de l’enfer. Le reste de la famille est en campagne, et Naivo doit emmener Rivo mourir sur ses terres, près de la mer. C’est à la mer que veut mourir Rivo et c’est Naivo qui va l’y emmener.

« Oui, ils iront à la mer, pour retrouver la paix et la dignité, pour regarder les vagues et se laisser emporter par un au-delà recherché et détesté en même temps. La mer leur a été toujours interdite. Comment peut-on rêver de la mer quand on gagne 100 francs par moi ? »

 La trame du récit est triste, le décor est sombre et le ton poignant, violent tant par l’absence d’espoir pour ces jeunes, que par le tableau des problèmes sociaux qui se dégagent, abrupts, réalistes, humainement dessinés par l’auteur, concrètement représentés dans le destin de ces deux jeunes hommes. « […] que cette blessure là […] fait le plus mal, se faire renvoyer tout le temps à la figure l’image d’une génération perdue, fichue, portrait véhiculé à force de médias, de journaux, et internationalisé, on les voit fous, on les dits foutus, et ils se sentent foutus »

 Et pourtant sous cet air misérabiliste, l’auteur parvient à dégager de la poésie dans cette amitié entre les deux jeunes hommes, dans cette relation humaine qui brave les obstacles, qui combat les défis de la vie qui voudrait enlever la dignité de ses passagers. Or Michèle Rakotoson parle avec émotion de son pays originel, celui qu’elle a quitté pour la métropole et où elle revient comme un aimant depuis quelques années pour retrouver l’âme de l’île, la beauté de ses hôtes, la poésie de la vie là bas malgré les difficultés et la misère d’un monde mondialisé qui ne les épargne pas dans ses limites, plus que dans ses avantages.

 Des chants traditionnels, pour beaucoup religieux nous accompagnent durant tout le récit, en malgache pour nous faire entendre des sons puis traduits pour en saisir le sens. On marche aussi sur les traces d’une reine malgache qui dut s’enfuir vers Alger, par la mer, chassée par les colons.

“Les Malgaches ont toujours aimé chanter comme tous les peuples réduits au silence. Ils ont utilisé leurs arts pour dire l’indicible et l’innommable, pour aller à l’encontre de la censure. Toute la mélancolie de l’Imerina, des habitants des collines, des paysans oubliés réside dans cette mémoire tue. »

 

Le livre Lalana de Michèle Rakotoson, artiste proue de la diaspora malgache, est paru en 2002, aux éditions, Arléa. Lalana signifie à la fois « la rue » et « la loi ». C’est le quatrième livre de l’auteur qui depuis quelques années oeuvrent pour l’édition malgache, la distribution de livres, et le rapport à la lecture des enfants.

 

Citations

- A propos de l’espérance de vie : « Les Malgaches sont trop pauvres pour avoir des vieillards, à moins d’appeler vieillard un homme de 60 ans. »

- L’imaginaire de la France : « La France reste le seul ailleurs possible. Ils rêvent de partir et n’imaginent même pas à quel point la campagne est belle à 20 km de la capitale »

- La mort « Donner un sens à la mort, donner une signification à ces moments qui s’égrènent, où l’on sait qu’on ne peut rien, absolument rien »

-  La déforestation «  Tout a brûlé ou a été brûlé. Depuis des décennies ou des siècles peut-être. La terre brûle, la forêt brûle, le sol se ravage, se déchire en longues plaies rouges, latérite sanguinolente, laissant une croûte infertile recouvrir la roche qui affleure. Les paysans ont besoin de bois pour leurs feux, d’herbage pour leurs bêtes, ils ont besoin d’exprimer leur révolte, disent les sociologues, de clamer leur désaccord, ajoutent les politiques véreux. Mais le résultat de tout cela est une terre mutilée, à l’agonie. Et ceux qui y vivent, hommes et animaux sont maigres, décharnés, car à Madagascar, on ne se souvient de la campagne que quand elle brûle ou en cas de famine. »

- la mondialisation « La pauvreté est d’autant plus grande et se vivait d’autant plus mal que le pays s’ouvrait, qu’arrivaient les marchandises, les produis divers, les touristes, les hommes d’affaires, les aventuriers, les airs d’ailleurs, les étrangers, toujours si riches, plus riches que les Malgaches. »

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