Le sida, la mort, la tradition, confrontés au Madagascar de la mondialisation par Michèle Rakotoson
Je
viens de terminer un livre dont j'ai encore les frissons de la mise à
nue d'une réalité qu'on ne voudrait pas voir mais je garde aussi cette
sensation d'avoir lu un livre qui me parle de poésie, de dignité
humaine et d'humilité. Ouvrez vite le livre de Michèle Rakotoson,
intitulé Lalana
« Rêve pas mec,
lui dit-il tout le temps, rêve pas, rien de tout cela n’est pour nous »
quand Naivo lui parle d’avenir, de politique, de pays à construire.
C’est Rivo qui parle, jeune homme dans la
vingtaine à son ami Naivo. Ils se sont rencontrés à l’université là haut sur « la
colline des esprits" d’Antananarivo. Etudiants, oui, mais plein d’avenir
non ! L’ont-ils seulement été à un moment donné ? Les études ne
garantissent rien lorsque tu es malgache, de castes sociales démunies et qu’en
plus tu as le sida.
En effet celui qui parle, Rivo, a le sida.
« Il m’avait dit
1000 francs si tu veux le faire avec moi sans préservatif, 1000 francs, un
million malgache…les mots ont enfin été
prononcé, cette douleur que Rivo tait depuis si longtemps, l’impossibilité
qu’il avait eu de dire non à l’infâme, à l’abject et au déni de soi, l’homme
devenu objet pour cause de trop grande misère »
Parce qu’il sait qu’il ne peut pas le laisser
tomber : ce n’est pas la société, l’État, pas même les médecins qui vont
soutenir son ami dans cette épreuve. Il n’y a personne pour accepter cette
maladie, symbole de l’incarnation du diable dans un pays hanté par les
préceptes religieux mélangés de morales traditionnelles. Et puis un pays où
même soigner une grippe est du ressort des couches élevées de la société, ceux
qui s’en sortent en épousant un Blanc, ou en étant né du bon côté ! Et
encore y a-t-il un bon côté de la vie à Madagascar ?
« Le pire dans les
pays dits du Tiers-monde n’est peut –être pas la pauvreté mais cette misère
intégrée dans les esprits, cette sensation de se vivre, d’être incurablement
pauvre. Les dirigeants se vivent pauvres, se sentent pauvres et sont de toute
façon pauvres, malgré leur gloutonnerie, et ils construisent leur société à
leur image. Ici peut –être plus qu’ailleurs. »
Condamné, Rivo l’est et dès le début on le sait. Mais le plus tragique
pour un Malgache, peu importe sa condition serait de ne pas avoir une mort
digne « […]dans ce pays où les
vivants comptent moins que les morts ». En effet peu importe les
moyens, les malgaches trouveront toujours des ressources pour que leurs
ancêtres soient honorés et ne hantent pas l’avenir de leurs descendants.
Naivo se doit d’aider Rivo dont la sœur est mariée avec un Blanc, elle qui
a quitté la misère et a construit une barrière infranchissable avec son
frère resté du côté de l’enfer. Le reste de la famille est en campagne, et Naivo doit
emmener Rivo mourir sur ses terres, près de la mer. C’est à la mer que veut
mourir Rivo et c’est Naivo qui va l’y emmener.
« Oui, ils iront à
la mer, pour retrouver la paix et la dignité, pour regarder les vagues et se
laisser emporter par un au-delà recherché et détesté en même temps. La mer leur
a été toujours interdite. Comment peut-on rêver de la mer quand on gagne 100
francs par moi ? »
La trame du récit est
triste, le décor est sombre et le ton poignant, violent tant par l’absence
d’espoir pour ces jeunes, que par le tableau des problèmes sociaux qui se
dégagent, abrupts, réalistes, humainement dessinés par l’auteur, concrètement
représentés dans le destin de ces deux jeunes hommes.
Et pourtant sous cet air
misérabiliste, l’auteur parvient à dégager de la poésie dans cette amitié entre
les deux jeunes hommes, dans cette relation humaine qui brave les obstacles,
qui combat les défis de la vie qui voudrait enlever la dignité de ses
passagers. Or Michèle Rakotoson parle avec émotion de son pays originel,
celui qu’elle a quitté pour la métropole et où elle revient comme un aimant
depuis quelques années pour retrouver l’âme de l’île, la beauté de ses hôtes,
la poésie de la vie là bas malgré les difficultés et la misère d’un monde
mondialisé qui ne les épargne pas dans ses limites, plus que dans ses
avantages.
Des chants traditionnels,
pour beaucoup religieux nous accompagnent durant tout le récit, en malgache
pour nous faire entendre des sons puis traduits pour en saisir le sens. On
marche aussi sur les traces d’une reine malgache qui dut s’enfuir vers Alger,
par la mer, chassée par les colons.
“Les Malgaches ont
toujours aimé chanter comme tous les peuples réduits au silence. Ils ont
utilisé leurs arts pour dire l’indicible et l’innommable, pour aller à
l’encontre de la censure. Toute la mélancolie de l’Imerina, des habitants des
collines, des paysans oubliés réside dans cette mémoire tue. »
Le livre Lalana de Michèle
Rakotoson, artiste proue de la diaspora malgache, est paru en 2002, aux
éditions, Arléa. Lalana signifie à la fois « la rue » et « la
loi ». C’est le quatrième livre de l’auteur qui depuis quelques années
oeuvrent pour l’édition malgache, la distribution de livres, et le rapport à la
lecture des enfants.
Citations
- A propos de l’espérance de vie : « Les
Malgaches sont trop pauvres pour avoir des vieillards, à moins d’appeler
vieillard un homme de 60 ans. »
- L’imaginaire de la
France : « La France reste le
seul ailleurs possible. Ils rêvent de partir et n’imaginent même pas à quel
point la campagne est belle à 20 km de la capitale »
- La mort « Donner un sens à la mort, donner une
signification à ces moments qui s’égrènent, où l’on sait qu’on ne peut rien,
absolument rien »
- La déforestation « Tout a brûlé ou a été brûlé. Depuis des décennies ou des
siècles peut-être. La terre brûle, la forêt brûle, le sol se ravage, se déchire
en longues plaies rouges, latérite sanguinolente, laissant une croûte infertile
recouvrir la roche qui affleure. Les paysans ont besoin de bois pour leurs
feux, d’herbage pour leurs bêtes, ils ont besoin d’exprimer leur révolte,
disent les sociologues, de clamer leur désaccord, ajoutent les politiques
véreux. Mais le résultat de tout cela est une terre mutilée, à l’agonie. Et
ceux qui y vivent, hommes et animaux sont maigres, décharnés, car à Madagascar,
on ne se souvient de la campagne que quand elle brûle ou en cas de
famine. »
- la mondialisation « La pauvreté est d’autant plus grande et se vivait d’autant plus mal que le pays s’ouvrait, qu’arrivaient les marchandises, les produis divers, les touristes, les hommes d’affaires, les aventuriers, les airs d’ailleurs, les étrangers, toujours si riches, plus riches que les Malgaches. »